Le Covid-19 est le seul sujet qui préoccupe le monde depuis plusieurs semaines.
Ce sont quelques photos qui parlent ici, jour après jour, semaine après semaine, de ce que nous vivons en famille, au travail, avec ceux que nous ne pouvons plus voir, dans une maison où nous avons la chance de ne manquer de rien, dans un pays dont la majorité des habitants sont mieux lotis que dans certains autres endroits du monde.
C’est partiel et partial, c’est modeste et imparfait, mais cela nous permettra de garder quelques souvenirs de ces moments tellement particuliers que je n’hésite pas à les qualifier d’exceptionnels, même si au jour le jour il ne s’est littéralement ‘rien’ passé…
Quarantaine
Par Marie-Pierre Jadin
« Je vous écris d’Italie, je vous écris depuis votre futur. Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours. Les courbes de l’épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l’était par rapport à nous il y a quelques semaines. »[1]
Qui aurait pensé, en ce début d’année 2020, que ce virus qui venait d’un lointain pays d’Asie allait débarquer chez nous ? Qui, alors que nous sommes à l’heure de la mondialisation ? Sommes-nous donc si naïfs ? Alors que quelques heures d’avion, loin de nous arrêter, auraient plutôt tendance à nous galvaniser, pourquoi arrêteraient-elles un organisme minuscule si prompt à se fixer sur notre corps ?
A l’heure où j’écris ces lignes, la moitié de la planète est en quarantaine. Près de 3 milliards d’humains confinés.
Pour tous, ce confinement a signé l’arrêt brutal d’une série d’activités. Le mois de mars promettait d’être éreintant et passionnant à la fois. Il fut calme et… passionnant tout de même. Nous sommes devenus capables de réinventer une façon de vivre que nous avions oubliée. Nous sommes, du jour au lendemain, devenus capables de nous passer de ces choses qui nous paraissaient essentielles il y a un mois et demi. Des nouvelles chaussures une nouvelle coupe de cheveux une soirée au resto un cinéma une bière une réunion une autre réunion un cours par ici un RV par là…
Je fais partie des personnes les plus privilégiées de la planète : celles à qui ce confinement apporte davantage d’opportunités que de contraintes. Il nous offre ce qui manque le plus dans notre vie habituelle : le temps. Du jour au lendemain le temps s’est détendu et nos journées sont emplies de tâches que nous prenons plaisir à accomplir sans courir. Le télétravail s’organise et nous permet de vivre d’autres moments. Lire, écouter de la musique, écrire, rêver, semer des graines et les voir germer, faire des jeux de société, caresser son chat. Partager des moments, appeler quelqu’un pour avoir de ses nouvelles. S’inquiéter aussi pour nos proches qui sont brusquement si loin, parfois à 20 km de chez nous, alors qu’ils ont déjà été à des milliers de km et que cela ne nous paraissait pas si loin…
On repense ce rapport espace/temps puisqu’on ne peut plus voyager. Ou plutôt, n’avons-nous pas le sentiment de voyager davantage dans le temps que dans l’espace ? Un peu comme dans la magnifique citation du début : « je vous écris depuis votre futur ».
Si nous avons de la chance d’avoir un toit où nous confiner, des enfants ou petits-enfants qui prennent de nos nouvelles, une couverture sociale bien épaisse, un travail qui a du sens, un salaire garanti, si nous sommes épargnés par la maladie, de quoi devrions-nous nous plaindre ?
Et puis je vois ce qui se passe ailleurs. Je vois l’Inde où des centaines de milliers de personnes tentent de fuir les grandes villes où ils ne faisaient que survivre et où plus aucune promesse ne les retient. Je vois ces sans-abris à Los Angeles et ces réfugiés dans les camps grecs. Je vois un monde qui s’écroule alors que nous avons fait tant d’efforts pour le soutenir.
Et j’ai peur de ce qui va suivre. Quand les laissés pour compte n’en pourront plus de mourir, quand ceux qui peinaient à joindre les deux bouts seront dans la dèche, quand le bas et le haut de l’échelle seront tellement loin l’un de l’autre que l’échelle rompra. Je vois la misère et j’entends la révolte qui gronde.
Et puis je vois ce qu’il sera possible de construire sur les ruines de ce monde qui meurt. J’apprends le calme et j’entends le silence. Je découvre de nouvelles solidarités, une nouvelle façon d’être au monde.
Le covid-19, c’est tout cela. C’est une pandémie dangereuse qui bouleverse notre quotidien, et qui nous oblige à nous remettre en question, à nous poser, à réfléchir, même si nous ne comprenons pas tout, même si l’avenir est hautement incertain…
Alors, comme cette habitante de Venise à qui je laisse le dernier mot, je veux croire que nous allons vivre mieux après tout cela. « Soyons des millions à prendre la liberté de rêver un autre monde. Nous avons devant nous des semaines, peut-être des mois pour réfléchir à ce qui compte vraiment, à ce qui nous rend heureux.
La nuit tombe sur la Sérénissime. Le silence est absolu. Cela suffit pour l’instant à mon bonheur. Andrà tutto bene. »[2]
Prenez soin de vous.
[1] Francesca Melandri – écrivaine italienne
[2] Arièle Butaux, journaliste écrivain